CTA vs CTV

La valeur au cœur de l’action

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Philippe Escalle CTO

Comment un glissement sémantique dans nos interfaces pourrait bien initier un changement culturel profond dans nos façons de communiquer, convaincre… et embarquer.

Dans le petit monde des buzzwords digitaux, certains termes apparaissent comme des météorites : brillants, fugaces, vite oubliés. D’autres s’installent, presque tranquillement, et finissent par faire évoluer nos pratiques sans qu’on s’en rende compte.

Depuis quelque temps – disons 2023 pour ne pas fâcher ceux qui l’ont vu venir un peu avant tout le monde – un nouveau venu commence à se faire entendre : le Call to Value, ou CTV pour les intimes. Une version revisitée du bon vieux Call to Action (CTA), ce bouton ou cette phrase qu’on colle partout pour inciter l’internaute à faire quelque chose. Sauf qu’ici, on ne lui demande plus seulement d’agir. On lui propose une valeur. Une promesse. Un bénéfice tangible. Et mine de rien, ça change tout.

Le CTA, ce bon vieux commandant de bord

Depuis des années, le CTA règne en maître. “Téléchargez notre appli”, “Essayez gratuitement”, “Cliquez ici”. Il est direct, il sait ce qu’il veut. Parfois un peu trop, d’ailleurs. Un brin autoritaire sur les bords, le CTA pense conversion, taux de clics, tunnel de vente. C’est une machine à faire bouger les gens — pas forcément à les convaincre.

Et c’est là que le CTV débarque, avec son ton plus posé, plus orienté utilisateur, un peu comme ce collègue qui ne vous dit pas quoi faire, mais vous donne envie de le suivre. Lui, il dit : “Essayez gratuitement et gagnez en productivité dès aujourd’hui.” Ou encore : “Je découvre comment reprendre le contrôle de mes finances.” C’est plus doux, plus engageant. Presque amical.

Le CTV, ou l’art de parler à quelqu’un plutôt que de lui parler dessus

Le Call to Value ne vous dit pas quoi faire. Il vous montre pourquoi ça vaut le coup de le faire. Il reformule l’intention : au lieu de mettre en avant l’action, il met la lumière sur la valeur que vous allez retirer de cette action. Et ce n’est pas une coquetterie linguistique. C’est un changement de focale. On ne regarde plus son propre objectif business (plus d’inscrits, plus de clics), on regarde ce que l’utilisateur gagne. L’ego se retire discrètement de la phrase.

La différence est fine, mais elle se sent immédiatement. Dans l’intonation. Dans l’émotion que ça déclenche. Dans la réaction de celui ou celle qui lit. Et soyons honnêtes : entre “Téléchargez l’application” et “Accédez à vos données où que vous soyez”, lequel donne plus envie de cliquer ?

Changer quelques mots, ou changer toute une posture ?

Évidemment, on pourrait croire que ce n’est qu’un effet de style. Une mode de plus dans le monde du marketing et de l’UX. Mais ce serait passer à côté du vrai sujet : ce changement de langage révèle un changement plus profond. Une transformation culturelle dans la manière dont on pense la relation avec l’utilisateur.

Car pour écrire un bon CTV, il faut d’abord savoir quelle valeur on apporte vraiment. Et ça, ça suppose qu’on se pose des questions. Sur ce qu’on promet. Sur l’expérience réelle. Sur le bénéfice utilisateur. Le CTV oblige à penser “centré utilisateur” dès le départ. Et ça, pour une organisation, c’est loin d’être anodin.

Ce n’est donc pas juste une affaire de copywriter inspiré un jour de pluie. C’est un travail d’équipe. Un changement de regard qui, s’il est bien accompagné, peut influencer aussi bien les équipes produit que les équipes marketing, commerciales, RH ou IT. Bref, un joli petit cheval de Troie pour faire avancer une culture orientée valeur.

Comment embarquer dans ce changement sans effrayer tout le monde ?

Rassurez-vous, il ne s’agit pas de faire disparaître tous les CTA de la surface de vos écrans du jour au lendemain. Parfois, un bon vieux “Télécharger maintenant” reste parfaitement adapté. Mais là où l’engagement est faible, là où vous sentez qu’il manque un petit déclic pour embarquer, c’est souvent qu’un CTV ferait bien mieux le job.

On peut commencer en douceur : reformuler quelques boutons, retravailler deux ou trois formulaires, tester quelques titres de newsletter. Le plus difficile, finalement, n’est pas la rédaction. C’est d’aider les équipes à changer leur point de départ. À ne plus penser “ce qu’on veut qu’il fasse”, mais “ce qu’il va y gagner”.

Il faut parfois insister un peu, montrer des exemples, faire rire en comparant des CTA un peu trop brutaux à des injonctions militaires (“Télécharge ! Inscris-toi ! Agis !”) et montrer à quel point un langage plus doux, plus empathique, plus axé bénéfice crée de l’adhésion.



L'oeil du CTO

" Chers CTO, si vous pensez que cette histoire de wording est un délire de communicants, détrompez-vous. Le langage structure nos interfaces. Il crée l’ambiance, l’intention, la relation. Un bouton, c’est une porte d’entrée. Et s’il dit “je t’ouvre une valeur” au lieu de “je t’ordonne une action”, ça change souvent tout le reste. Alors la prochaine fois qu’un designer ou un copywriter vous parle de CTV, écoutez-le. Pas parce que c’est plus joli, mais parce que c’est plus juste. Et que c’est, au fond, exactement ce qu’on attend d’un bon changement : qu’il mette la valeur au centre. "